GERARD ROBINVIL : L’IMAGE ET L'ŒIL

Il importe de rappeler que Gérard Robinvil est un artiste autodidacte. C'est seul qu'il a pris connaissance des exigences de la peinture et plus tard des voies ouvertes par les nouvelles technologies de l'image. Cette virginité à l'égard des pratiques artistiques visuelles ne l’a pas empêché d'aborder avec beaucoup de rigueur la question de la figuration. Comment la peinture, aujourd'hui, peut-elle être l'instrument de la réalité? Gérard Robinvil évoque les années 60 : la peinture - celle de Gilles Aillaud ou d'Eduardo Arroyo, anti-franquiste - était un acte politique. Trente ans plus tard, le narcissisme semble avoir pris le pas sur l'action dans les limites formelles du tableau.

Par un nouveau dialogue entre l'image et l'œil du spectateur, la vidéo offre à l'artiste un autre rapport d'interactivité. La souplesse du médium, dans lequel la science se joint au "bricolage" fait jaillir des relations entre perception et connaissance.

Le spectateur est mis à contribution: l'écran télévisuel lui est destiné individuellement quoique le contenu d'une bande vidéo s'adresse à tous.

Le vidéogramme proposé par Gérard Robinvil est narratif: un personnage féminin est écrasé - physiquement et symboliquement - par une forme. Cette femme se débat, reprend sa place et inlassablement le combat se perpétue. Si le personnage est réel, la forme est virtuelle et c'est ce conflit entre deux mondes de pensées qui traverse l'œuvre de Robinvil depuis plusieurs années.

Pour Gérard Robinvil, la vidéo serait le moyen le plus efficace pour réactiver la notion de communauté d'action et de geste social, voire politique.

Le monde est vieux: l'être préhistorique dans sa grotte peinte ou gravée entrevoyait son rapport à la nature sans doute de la même manière que l'actuel citoyen d'une métropole se situe dans le couloir du métro. "C'est un lieu qui dévore et cela pose des questions folles à un peintre". Il s'agirait aujourd'hui de "faire bouger le taureau", avec derrière soi, des générations de peintres, l'invention occidentale de la perspective centrale et le jeu de l'intuition des formes.

Les propositions de bandes vidéo de Robinvil sont dessinées, peintes et restent aussi importantes que leur réalisation. Le dessin est un intermédiaire visuel léger et fondamental à la vidéo. Le dessin ne réclame pas, comme la peinture, une réalisation immédiate. La rapidité d'exécution, le jeu de la couleur ou du trait noir supposent la série et la liberté plastique d'une totale subjectivité. Chez Gérard Robinvil, la fluidité du dessin permet à l'artiste de se laisser "influencer par le matériau".

Armand et César, au début de leurs productions d'œuvres (qui elles-mêmes appartenaient à un univers technologique déterminé) avaient laissé transparaître l'identité et l'origine des formes des objets, tout à la fois dans les compressions et les accumulations. C'est cette nouvelle subjectivité que Gérard Robinvil laisse filtrer dans ses dessins. Si les Nouveaux Réalistes ont attrapé au vol les objets et images du quotidien, il faut aujourd'hui créer dans un monde où le binaire est de mise, le réseau induit et l'arborescence un principe.


Les dessins de Robinvil sont de parfaits intermédiaires vers la vidéo : leur multiplicité compense le flux des images et propose une autre lecture (une sorte d'agenda où chaque jour porte un dessin). Car à la différence du dessin, la peinture laisse entrevoir une difficulté dans l'échange social: il existera toujours un décalage de compréhension entre la situation de l'artiste (et son langage) et le regard du spectateur.

vidéo «Jour après Jour» - 30s
1995-1996

Les fresques religieuses du Moyen-âge (telles que celles de Ménard-La-Barotière, en Vendée, motif d'un projet de Gérard Robinvil en 1996) offraient, à leur époque, une double fonction qui sans doute compensaient cet écart. D'une part, par la fonction idéologique des images et d'autre part par leur fonction éminemment médiatique. La fresque d'aujourd'hui serait peut-être le moniteur d'une vidéo. Au passage, quelque chose s'est produit dans le déplacement des corps, qui serait cette modernité que recherche Gérard Robinvil. Le dessin, dit l'artiste, est dans son œuvre un "story-board". Ce terme emprunté au cinéma dit bien l'appel qui est fait au septième art: la narration, les plans, le son, les dialogues (qui stimulent l'imaginaire) toutes ces opérations passent par la manipulation, par le collage. Comme dans les vidéos de Bruce Nauman, le dessin chez Robinvil offre la capacité à passer de l'idée à la réalisation.


Gérard Robinvil rappelle que la vidéo ne se confond en rien avec la réflexion offerte par la sculpture. L'installation vidéo exposée au musée situe le moniteur dans l'espace au moyen d’une toile blanche. La toile - support pour les publicités - n'est certainement pas une stèle. Elle redouble, en fait, l’espace de l’image en déplacement. Le personnage féminin qui se débat est bien vivant, quoique inscrit dans une image de synthèse donc filaire et non palpable.


A travers ses propositions - vidéos' ou projets de vidéogramme - Gérard Robinvil distille une sensibilité dans notre perception de l'image. Il souligne que le vidéogramme est la plus actuelle des œuvres de groupe. Tout comme le maître d'un atelier de peinture, à la Renaissance, se contentait de peindre les visages des sujets de sa composition, tandis que les apprentis se chargeaient de la réalisation des fonds, le vidéogramme ne peut s'inscrire qu'au fil d'un échange entre l'artiste et les techniciens d'un studio.


La singularité de l'artiste s'inscrirait donc dans le cadre du groupe social qui lui accorde sa place. Quoique discrets, le rôle et la place de l'artiste situent et déterminent les rapports humains. C'est cette notion là que défend Robinvil, dans un rapport que Marshall Mac Luhan, dans les années 70, avait fourni sur le rôle du livre dans la société de l'Occident moderne.


Les nouvelles technologies à grands pas modifient la perception de notre monde occidental dont l'œil et l'esprit sont les instruments de précision.


Laurence Imbernon, novembre 1995 - 1996
actuellement conservatrice du patrimoine (Musée des Beaux-Arts de Rennes)



Les phrases et mots placés entre guillemets sont empruntés à un entretien avec l’artiste, le 27 octobre 1995.