Robinvil s’applique à donner en partage l’apesanteur et toute la difficulté de cette entreprise résulte précisément dans cette restitution. Comment s’approprier sans déflorer ? saisir sans posséder ? Comment conserver la douceur de la fugacité ? celle qui confère aux instants d’émotion leur pouvoir d’évocation ; tenter de les fixer autrement que par la mémoire les foudroie inévitablement ; ils se vident de toute présence, se figent comme autant de reliques poussiéreuses et ainsi momifiées perdent toute grâce et toute légèreté ; leurs souvenirs semblent dès lors bien dérisoires, au regard des promesses qu’ils suscitèrent naguère.
Conscient de cette gageure, Robinvil dans ses vidéos se garde bien dans un premier temps, de saisir ; il effleure, soutient et accompagne du regard et du toucher, d’où l’omniprésence des mains, souvent gantées d’un caoutchouc protecteur, mains qui caressent l’épiderme d’un mur, suggèrent l’espace d’un tableau, semblent porter un paysage ou encore maintenir avec infiniment de précaution quelques fruits ou végétaux, elles nous livrent ainsi à distance des apparitions, cherchent quelques secrets au très profond de ces altérités.
Mais toujours à distance, la distance du respect, de l’humilité et de la pudeur, la distance nécessaire à l’appréhension du vide et du silence, car c’est précisément dans cet espace vacant que se glisse le ressentir, que se joue l’évocation, dans l’espace qui sépare l’objet aimé de la main prédatrice que prend place l’émotion, dans ce flux et dans cette temporalité.
Il faudra pourtant inévitablement prélever, capturer et extraire quelques images, mais comme à regret, conscient de l’homicide et de la violence de cette appropriation, un fort sentiment de perte et de deuil semble dés lors les affecter durablement, la perte de l’innocence qui confère au monde son extrême fragilité, le deuil d’un monde possible ou la douceur se substituerait à l’âpreté, le monde des interstices et du furtif. Les bandes sons et les quelques images parasites de vue de grandes surfaces ou de couloirs de métros où déambulent frénétiquement quelques centaines de consommateurs affairés, semblent attester, elles aussi, mais par opposition et par dualité, de cette disparition inéluctable des tendresses amoureuses indispensables aux émois contemplatifs. C’est seulement lorsqu’on reste très longtemps seul que là où pour les autres il n’y a rien, l’on découvre de plus en plus de choses partout.
Laurent Charbonnier
Extrait, octobre 2006